La Fièvre de la Nièvre
Le silence des pilotes, panique au freinage, les dents de la piste, massacre a la dépanneuse, le circuit à des yeux, Lamera les griffes de la nuit… Le 1er week-end de course du championnat Lamera Cup 2018 aurait pu basculer dans le domaine de l’horreur à de nombreuses reprises. 1er Avril, la blague aurait été de mauvais goût.
Heureusement dans la Team Scorpus Racing 18, on n’est pas trop film d’horreur, mais plutôt happy ending.
15h de course étaient au programme à Magny-Cours, et du début à la fin, les maîtres mots auront été :
Never say Nevers !
Pour bien se mettre en jambe, on s’échauffe dès Vendredi… sur l’autoroute. Et déjà, il pleut.
Vendredi, 15h, arrivée sur la piste. Les paddocks sentent l’essence, la gomme et la course… Et toutes les voitures attendent sagement dans leur garage respectif… Toutes ?
Non ! La voiture d’un petit groupe d’irréductibles pompiers est en kit… à un peu
plus de 24h du début de la course. En plein remontage après les réparations nécessaires qui ont suivi la panne de la journée du Mans, c’est avec une roue à gauche, un pare-chocs en haut, un rétro à droite et un moteur en bas que l’équipe se prépare dans notre box. Je ne sais pas quel coin sera mon coin préféré parmi le coin repos, le coin restau, le coin stratégique… Même si j’ai ma petite idée…
On cale.
Et là le cœur s’emballe… La procédure de redémarrage de la Lamera est digne de celle des Airbus A380.
Rien de tel pour vous titiller un Charles un brin à vif… Et une fois le pit limiter désactivé à la sortie des stands, c’est le feu d’artifice dans ma tête.
Affamé par le manque de roulage à se mettre sous la dent, c’est déconnecté que je conduis, mort de faim prêt à grignoter le moindre mètre de la zone de freinage,… Et accessoirement, les yeux rivés sur l’écran… J’ai dû rater une étape de la procédure de redémarrage. Le rapport engagé ne s’affiche pas sur l’écran. Pas le temps d'y penser, on verra après…
Pas aidé par la physionomie du châssis, le moteur est
positionné à l’arrière et dès que l’on effleure la pédale de
droite, tout le poids concentré sur les roues directrices à
l’avant lors de la phase de freinage, bascule sur les roues
arrière… On se retrouve comme un dragster, et les roues
avant n’ont plus de charge pour se maintenir plaquées au
sol et pour donner la direction. Syndrome schématisé
rapidement, parfaite introduction au transfert de masses !
Samedi, 8h… Briefing et dernières photos
avant de prendre le départ… La pression c’est dans les pneus. Mais je devais un peu ressembler au bonhomme Michelin parce que je l’avais un peu aussi… C’est la première de la saison, et la 1ère depuis plus de 6 mois… Alors pas le droit de se dégonfler… Un peu d’appréhension, mais pas le choix… On y est !
Avant même de prendre le départ de la course Samedi à 17h30, le team pompier a battu un record. Ce record, c’est le record de l’inexpérience.
Notre voiture, prête à quelques heures seulement du drapeau vert, c’est à l’arrache que chaque pilote aura pu compléter un tour lors des essais libres et essais qualificatifs du matin pour découvrir la voiture… Difficile prise en main, jusqu’au bout… C’est directement lancé dans le grand bain de la course qu’il va falloir faire ami-ami avec notre #18…
C’est Mathieu qui a la lourde tâche de prendre le départ… je prendrais le 2ème relais. Antépénultièmes des qualifications, on ne pourra qu’améliorer notre position presque à coup sûr !
J’ai plutôt un stress positif et une pression qui me booste au moment d’y aller… Une grosse envie !
On oublie tout le reste et une fois les harnais de sécurité bien attachés, le moteur rallumé après un refueling express… et le lancement du tableau de bord digital accompagné de son bruit en 8-Bit qui arrache les oreilles… On ferme les portières, et on se retrouve tout seul dans la voiture…
Le cœur qui bat, et habitué des filets de protection des voitures de NASCAR, je me retrouve un peu à l’étroit dans ce cockpit hermétique… C’est le moment de partir… On respire un grand coup, on enclenche la 1ère… On accélère et…
Après quelques tours, les nuages menaçants depuis le début de la journée passent à l’action et la pluie fait son arrivée. Je découvre que la Lamera en conditions pluie, c’est pas le top. Essayer de marcher sur du verglas avec des crocs, ça peut être amusant, mais c’est compliqué, et c’est presque la même sensation !
Le comportement de la voiture est imprévisible et lunatique. Je me suis rendu compte à quel point les pneus pluie « de série » de la voiture, efficaces sur les routes du quotidien, ne tenaient pas la route sur un circuit.
Après une longue demi-heure, éprouvante et inattendue, une petite voix bienveillante dans la radio m’annonce que c’est le moment de passer le témoin. Premier objectif collectif rempli : quelques places de gagnées. Premier objectif personnel en demie teinte, beaucoup de petites erreurs qui s’accumulent… je garde quand même le sourire… J’ai pu garder le rythme et les temps au tour sont plutôt encourageants avec des conditions climatiques compliquées.
Le soleil se couche, et les phares s’allument. Après des arrêts au stand long comme la route 66, le Team Pompiers se positionne dans le Top 15 général et dans le Top 5 de notre catégorie gentleman.
Au moment de reprendre le volant à 22h30, il fait noir. Je garde pourtant espoir, et je m’applique à ne pas caler. L’embrayage m’aura surpris une fois, mais pas deux.
Je découvre le pilotage de nuit. C’est un premier contact intéressant en condition nocturne. Le regard est moins important… Ce sont les automatismes et les réflexes qui prennent le dessus. On perd ses repères et la notion de vitesse s’estompe. On a rapidement tendance à oublier que l’on dépasse la limitation de vitesse sur l’autoroute d’une centaine de kilomètre/heure.
La piste est à nouveau sèche. Je peux exploiter la voiture pleinement.
L’aimera, l’aimera pas ? Le courant passe avec la Lamera.
Un peu capricieuse quand il s’agit de l’inscrire dans les courbes rapides, la voiture est sous-vireuse. Direction le lexique pour une séance vocabulaire de rattrapage.
Samedi 21 Avril 2018
l’équipe, on peut en perdre ses bases, et à vouloir chercher la limite, on la trouve au détour de sorties larges et de freinages un brin tardifs… Je ne vais pas renier
cette part américaine de mon pilotage, tout donner à chaque virage, c’est la
philosophie un peu folle des NASCARiens qui préfèrent finir dans un mur plutôt
que de finir 2ème, car le 2ème, c’est bien connu… C’est le 1er des perdants.
Apprivoiser cette limite et en faire son allié plutôt que la redouter, ce sera
l’objectif de la course de Nogaro, en Juin, pour aller encore plus loin. Les
chronos parlent d’eux-mêmes et il me reste une marge de progression
En pratique, la voiture sous-vireuse donne des
ré-accélérations tardives et je peux constater tout le temps perdu dans les enchaînements rapides lorsque je suis au coude à coude avec un concurrent. Je m’applique donc à gagner du temps là où je le peux, sur les freinages. Once a flaw, now a strenght ! Somehow, je profite de la satisfaction d’avoir progressé sur ce point que j’avais travaillé tout l’an dernier. Il reste encore une marge de progression, mais l’objectif est de rester sur la piste avant tout… Je retarde déjà mes freinages plus que mes adversaires… Comme quoi, être en retard, ce n’est pas que du négatif… I’ll take that.
Temps au tour et classement améliorés, les objectifs sont remplis pour cette deuxième série.
Je prends la direction du camping-car à la fin de mon run… C’est l’heure de ne pas trop gamberger et de se reposer plutôt vite et bien pendant quelques heures avant de repartir.
A 4 heures du matin, il fait froid et ça fait plutôt du bien de se mettre dans la voiture, c’est un vrai radiateur et il n’y a pas mieux qu’une bonne séance de pilotage pour oublier les températures et se réchauffer. Ne pas avoir les yeux distraits et ne pas être ébloui à l’intérieur de la voiture est une tâche qui peut sembler simple, mais pas si évidente. Entre les phares des autres voitures réfléchis par les rétroviseurs et la caméra arrière, la luminosité violente des écrans de contrôle, et les concurrents à dépasser ou laisser passer à intervalles réguliers, il se passe presque toujours quelque chose et la concentration est mise à rude épreuve.
C’est bien pratique d’avoir une voiture devant, ça permet de se reposer un peu. L’avantage de voir ses feux arrière et leur direction donne de précieuses informations sur le prochain virage et le moment où celui-ci arrive, mais ce n’est pas une raison pour faire une petite sieste dans les bouts droits… Le regard n’est pas au même endroit, mais il est tout aussi utile sur une piste, de jour comme de nuit.
La team Pompiers se rapproche petit à petit du top 10 général et du podium gentleman… On ne perd pas le cap… Ca tombe bien, l’étoile du Nord toujours brille dans le ciel… Plus pour très longtemps.
Le soleil se lève, et je me prépare à l’avant-dernier relais de la course, le dernier pour moi. Night owl devenu early bird ? Non, je reste fidèle à la nuit… Mais je n’ai pas eu trop le choix !
On prend les mêmes et on recommence avec un peu plus de luminosité. Un petit goût amer qui reste en travers de la gorge à la fin de ce run… Mystérieux. Entré des stands 2ème de notre catégorie avec 10 secondes d’avance, je rendrais la voiture à Mathieu 3ème, à 26 secondes de la 2ème marche du podium, pourtant avec mes meilleurs chronos du week-end… Une énigme que même la théorie relativiste d’Einstein ne saurait expliquer. Dépassé sur la piste ? Non, à moins d’avoir cligné des yeux trop longtemps. Dépassé dans les stands à la faveur d’une stratégie décalée ? Probablement…Des déchets et beaucoup de petites erreurs subsistent. La rapidité a un prix, celui de la régularité. A vouloir trop bien servir et aider
intéressante et celle de la voiture l’est aussi. J’ai hâte de pouvoir travailler sur les réglages châssis avec notre crew-chief, Nico et sa bande. Rien n’est acquis et ce n’est que le début.
Un bon karma et une bonne étoile dans le ciel auront permis au team Pompiers de récupérer la 2ème place dans les toutes dernières minutes de la course. C’est une récompense juste et à la hauteur du travail fourni par Alain Veyssière. Passé par des hauts et des bas ces derniers mois et ces dernières années, je suis heureux d’avoir pu vivre ce moment avec lui. Des mots et un sourire plutôt rare, mais précieux.
Ne jamais oublier d’où l’on vient. Je n’oublie pas non plus où je veux aller.
Scorpus Racing un jour, Scorpus Racing toujours.